La cholestase intrahépatique gravidique (CIO) se manifeste principalement par un prurit au cours du 2ème ou du 3ème trimestre de la grossesse. La prurit est le plus souvent généralisé, mais prédomine au niveau du tronc, de la paume des mains et de la plante des pieds. Il est habituellement plus sévère la nuit, entraînant des troubles du sommeil. Le prurit disparaît habituellement dans les heures au les jours qui suivent l'accouchement. Dans 10 pour cent des cas environ un ictère apparaît après le prurit. L'examen clinique est normal en dehors des lésions cutanées de grattage.
L'activité sérique des aminotransférases est le plus souvent augmentée et fréquemment supérieure à 10 fois la valeur supérieure de la normale. Ceci peut faire suspecter une hépatite virale aiguës facilement éliminée grâce aux sérologies spécifiques. La concentration sérique des acides biliaires est augmentée. La mesure de cette concentration est surtout utile pour le diagnostic lorsqu'il existe un prurit et que l'activité sérique des transaminases est normale. Cet examen -ne fait pas partie de la nomenclature des actes de biologie. La concentration sérique des acides biliaires et l'activité sérique de l'ALAT diminuent rapidement après l'accouchement et se normalisent le plus souvent en quelques semaines. L'activité sérique de la GGT est normale ou modérément augmentée. La numération plaquettaire est normale. Le TP est le plus souvent normal. Il peut être diminué lorsqu'il existe un ictère ou chez les malades traitées par la cholestyramine, Dans ce cas le taux du facteur V est normal et le TP se corrige quelques heures après l'administration de vitamine K par voie parentérale. A l'examen échographique, les voies biliaires ne sont pas dilatées. Le pronostic maternel est toujours favorable. L'hémorragie de la délivrance par hypovitaminose K doit être prévenue par l'administration parentérale de vitamine K.
Les principales complications sont la prématurité et la mort in utéra brutale, qui sont à l'origine d'une augmentation de la mortalité périnatale. Le taux de prématurité est augmenté en partie par le fait qu'il s'agit fréquemment de grossesses multiples. La mortalité in utéro est d'environ 1 à 3 pour cent. Les femmes atteintes de CIG ont donc une grossesse à risque justifiant une surveillance maternelle (TP et tests hépatiques) et foetale (enregistrement du rythme cardiaque foetal). Bien qu'il ait été trouvé une relation entre la concentration des acides biliaires dans le sérum maternel et les signes de souffrance foetale, l'utilité de la mesure de cette concentration pour l'évaluation du pronostic foetal et la conduite à tenir obstétricale n'a pas été démontrée.
La prévalence de la CIG en France a été évaluée entre 2 et 7 cas pour mille accouchements. La CIG est plus fréquente dans d'autres pays, tels les pays scandinaves, et surtout la Bolivie et le Chili.
La cause exacte de la CIG est inconnue mais il existe des facteurs génétiques et hormonaux. Les facteurs génétiques expliquent la survenue de cas familiaux et l'incidence élevée de la CIG chez les Indiennes Araucanos. Récemment, il a été rapporté une mutation du gène MDR3 ("multidrug resistance 3") chez plusieurs membres d'une même famille, atteints d'une cholestase intrahépatique fibrogène familiale ("Progressive Familial Intrahepatic Cholestasis") ou d'une cholestase gravidique. Dans cette famille, la mutation MDR3 a été trouvée à l'état homozygote chez une personne atteinte de cholestase intrahépatique fibrogène familiale et à l'état hétérozygote chez 4 femmes atteintes de cholestase intrahépatique gravidique. Ceci suggère que la présence de cette mutation à l'état hétérozygote pourrait être un facteur favorisant la survenue d'une cholestase au cours de la grossesse. Cependant, en France, les formes familiales de CIG sont rares. Il est probable qu'il existe plusieurs entités dont l'expression clinique serait similaire et dont la cause serait différente. Concernant les facteurs hormonaux le rôle des estrogènes a été bien établi.
Récemment, il a été démontré qu'un traitement par la progestérone naturelle (Utrogestan@) prescrit durant la grossesse pour une menace d'accouchement prématuré pouvait favoriser l'apparition d'une CIG. Il a également été mis en évidence des anomalies du métabolisme de la progestérone chez les malades atteintes de CIG. Enfin, l'absence de récidive systématique lors de grossesses successives suggère l'existence d'autres facteurs, endogènes ou exogènes, favorisant l'expression clinique de la maladie chez des femmes gériétiquement prédisposées. Ainsi la CIG est plus fréquente en cas de grossesse gémellaire. La cholestase peut également être aggravée par une infection urinaire qui doit donc être systématiquement dépistée et traitée.
Après l'accouchement, il faut s'assurer de la normalisation des tests hépatiques. Si les tests hépatiques ne sont pas normalisés 3 mois après l'accouchement, il faut rechercher une hépatopathie chronique, par exemple une cirrhose biliaire primitive. Lorsqu'il existe un prurit au cours de la grossesse et que l'activité sérique de l'ALAT et la concentration sérique des acides biliaires sont normales il faut demander l'avis d'un dermatologue. Certaines dermatoses prurigineuses de la grossesse nécessitent un traitement spécifique.
La cholestase peut récidiver lors d'une grossesse ultérieure ou plus rarement lors d'une contraception oestroprogestative. La survenue d'une CIG ne contre-indique pas une contraception orale faiblement dosée en estrogènes. La contraception doit être débutée après la normalisation des tests hépatiques et il faut prévenir la patiente du risque de récidive.
Le but du traitement médical de la CIG est d'améliorer la tolérance du prurit et de diminuer la cholestase ce qui devrait permettre d'améliorer également le pronostic foetal. La prise de 25 à 50 mg d'hydroxyzine (Atarax@) Ie soir améliore la tolérance du prurit- La cholestyramine, à la dose de 8 à 16 g par jour, diminue l'absorption iléale des sels biliaires et accroit leur excrétion fécale. Le traitement doit être débuté à doses progressives et les prises réparties dans le journée. La cholestyramine est peu efficace sur le prurit. Chez les malades ictériques ou traitées par la cholestyramine il est utile de prévenir la carence en vitamine K; par exemple par une injection intramusculaire de 10 mg de vitamine K une fais par semaine. Plusieurs études ont montré que l'acide ursodésoxycholique était efficace chez les patientes atteintes de CIG et ont suggéré que ce médicament était utile chez les malades atteintes de cholestase sévère. Dans ces études cliniques il n'a pas été mis en évidence de toxicité de l'acide ursodésoxycholique pour l'enfant tout au moins à court et moyen terme. Il semble cependant prudent d'attendre la confirmation de cette innocuité avant d'élargir la prescription de ce médicament en routine aux formes peu sévères, ce d'autant que l'acide ursodésoxycholique n'a pas d'AMM dans cette indication, Concernant la conduite à tenir obstétricale, il n'y a pas de consensus universel, Cependant, il est habituellement recommandé de déclencher l'accouchement avant le terme théorique, en particulier dans les formes sévères. Ainsi, Rioseco et al proposent de déclencher systématiquement l'accouchement à la 38ème semaine d'aménorrhée en l'absence d'ictère, et à 36 semaines d'aménorrhée, une fois que la maturité pulmonaire est atteinte, en cas d'ictère. Dans les formes peu sévères, les déclenchements systématiques avant l'obtention de la maturité pulmonaire ne sont habituellement pas justifiés.
Source : http://www.bmlweb.org/poupon_994.html